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Éthique en toc : quand les chefs cultivent les incohérences

Alain Ducasse et consorts en Arabie saoudite, pas un mot des restaurateurs ou si peu sur la situation des agriculteurs, name-dropping abusif, grosses voitures et étoiles vertes, management à la dure : le monde de la restauration est-il réellement passé au 21e siècle et ses exigences de transparence et de vérité ? Derrière une communication léchée où ils ne cessent de répéter leurs beaux engagements, les chefs cultivent plus que jamais de lourdes incohérences. Jusqu’à quand ?

Les images sont magnifiques. On y voit Alain Ducasse circuler dans une sublime oasis, à pied et en voiturette, observer délicieusement le paysage et cueillir un fruit ou deux. Ces images ont été tournées en Arabie saoudite, là où le chantre de la naturalité et ses équipes proposent un restaurant éphémère. Le Monégasque n’est ni le premier, ni le dernier cuisinier à se rendre dans ce pays mais il incarne à lui seul les grands écarts d’une partie non négligeable de sa profession. Il y a quelques mois, à Monaco, il organisait un sommet de la Gastronomie durable, où il était question d’éducation, de terroir, de responsabilité, de vision globale et politique de l’alimentation. Plus récemment, Teritoria, ex-Les Collectionneurs, s’engageait à « inventer le tourisme qui fait aimer le monde », à soutenir une « hospitalité sincère et durable » et, plus intéressant encore, à exclure les membres qui ne respectent pas certains engagements précis, tels le bilan carbone ou le bien-être des collaborateurs. Or, qui préside Teritoria ? Alain Ducasse himself. Fais ce que je dis, pas ce que je fais ! Car en se rendant en Arabie saoudite, en y ouvrant une table, en prêtant son nom à la communication tapageuse de ce pays, il entre en contradiction totale avec ses propres engagements. Faut-il rappeler encore et encore – oui, sans aucun doute – que cet État torture hommes, femmes, enfants sans distinction, qu’il tue sans procès le moindre opposant, qu’il enferme à tour de bras celles et ceux qui osent dire un mot contre le régime dictatorial, que les femmes n’ont aucun droit ou presque.

Mais là où il n’y a aucun droit, il y a beaucoup d’argent. Beaucoup beaucoup trop. À tel point que certains ne voient que les mirages de l’oasis et ferment les yeux derrière le premier palmier qui cache la forêt des horreurs. Oui, bien sûr, les roitelets qui repartent du pays les poches pleines d’or assurent que leur présence sur le territoire saoudien aide à améliorer les choses. Qui peut sincèrement le croire ? Quel chef a quitté le parcours officiel et strictement borné pour ne jeter qu’un œil sur la vérité de ce territoire ? Belles foutaises. Comme quoi l’argent achète tout, même les bonnes consciences. Alain Ducasse, mais également Anne-Sophie Pic, Hélène Darroze, Emmanuel Renaut, Yannick Alléno, Régis Marcon, Akrame Benallal, Guy Martin, Marie Soria et les équipes de Potel et Chabot, le Sirha Food ont oublié leurs convictions pour récupérer un gros chèque. Ni vu ni connu ou presque. Incohérence totale. 

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D’autres argumenteront au contraire que la nouvelle génération – les clients de demain – sont bien plus informés et radicaux que les générations précédentes, face à l’écologie, le respect de l’autre et la cohérence idéologique. Un jour ou l’autre, les incohérences se paieront cash.

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Alors, engagés les chefs ? De prime abord, ils ne cessent de l’être. Dans leur cuisine – ils revendiquent tous une « identité culinaire » -, ils assurent bien choisir leurs produits selon les critères de l’époque (bio, locavore…), gérer en « bon père de famille » leurs équipes, respecter toute la chaîne de valeurs, etc. Droits dans leurs bottes les maîtres queux. Pourtant, il suffit d’échanger avec quelques producteurs, fournisseurs de légumes, de viandes ou autres, pour s’apercevoir qu’il y a souvent des décalages entre les discours et la réalité. Ainsi de certains chefs qui achètent deux, trois kilos de tel ou tel produit en début de saison chez un maraîcher réputé et qui, ô miracle, reste présent sur la carte pendant des mois, sans que jamais le maraîcher concerné ne revoie un bon de commande. Dans la même veine, la récente révolte des agriculteurs, exigeant une revalorisation de leur rémunération – et une petite rallonge côté pesticides – n’a pas trouvé beaucoup d’écho du côté des cuisines. Rares sont les professionnels à s’être exprimés sur la question, pourtant au cœur de leur quotidien nourricier. « Ils ne disent rien car personne n’a le cul propre du côté des approvisionnements » ironisait un chef. À l’appui, un chiffre, un seul : 1%. C’est le pourcentage des achats alimentaires en bio des quelque 170 000 restaurants en France selon Laure Verdeau, directrice de l’agence Bio, contactée par Bouillant(e)s. Quant aux syndicats, la prise de parole sur la question agricole fut quasiment, voire totalement, absente. Idem du côté du Collège Culinaire de France qui s’est contenté d’une petite communication interne. Incohérence là encore. Voilà des atonies qui font tache quand les mêmes chefs se dépêchent en permanence de faire la belle photographie qui va bien avec le maraîcher ou l’éleveur attitré du restaurant, qui affichent fièrement les noms sur leurs menus. Quant à la gestion en « bon père de famille » des équipes, il y aurait encore tant à dire. Très régulièrement, des faits de violences remontent ici ou là. Les chefs ou les syndicats sont-ils montés au créneau ? Nullement. Hypocrisie totale et… incohérence. 

Sans tomber dans un inventaire mortifère à la Prévert, et encore moins dans un discours (trop) moralisateur, il semble difficile de ne pas parler… voiture. De la grosse, de la berline, de la carrossée de compet’. Étoile verte d’un côté, jantes larges de l’autre, même pas peur. Et que dire, dans un autre registre, de ceux qui proposent de l’eau microfiltrée mais qui commandent à tire-larigot de la San Pellegrino pour rêver de gagner quelques places au classement du 50 Best ? Le récent scandale qui touche Nestlé Waters va-t-il changer la donne ? Probablement pas puisque ces mêmes chefs, qui vantent les vertus de la lune, du soleil, du bio, du locavorisme et du respect de la nature, sont les premiers à sillonner la terre entière en avion pour organiser un quatre, six ou huit mains. Incohérence encore et toujours. 

Combien de temps ce système qui marche sur la tête peut-il tenir ? Certains estimeront que tout cela n’a guère d’importance et que le désir du restaurant prendra toujours le dessus. D’autres argumenteront au contraire que la nouvelle génération – les clients de demain – sont bien plus informés et radicaux que les générations précédentes, face à l’écologie, le respect de l’autre et la cohérence idéologique. Un jour ou l’autre, les incohérences se paieront cash. Et même l’Arabie saoudite, avec ses milliards, ne pourra rien y faire. 

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Secrétariat de rédaction | Sarah Rozenbaum

Photographie | Fikri Rasyid

LES COURTS BOUILLANTES

19 janvier | Renée Richard, fille de la célèbre « Mère Richard », reine du saint-marcellin, est décédée ce dimanche 19 janvier. Elle était âgée de 74 ans. Elle avait continué le travail de sa « mère » en s’occupant de l’étal fromager situé au sein des Halles Paul-Bocuse. Son aïeule avait ouvert une première crèmerie en 1965 dans les anciennes Halles des Cordeliers. Le saint-marcellin de la Mère Richard reste mondialement connu. 

19 janvier | Le premier bar à saucisses vient d’ouvrir à Genève (Suisse). L’enseigne se nomme « Brad », en référence à la bradwurst, saucisse emblématique de la Suisse alémanique. Produits sourcés, röstis maison réalisés avec une pomme de terre locale et déco tendance devraient faire la différence. Rappelons-nous qu’à Paris, le concept Saucette n’avait pas fait long feu. 

19 janvier | Après des expériences à la Réserve Paris, le Shangri-La puis le Ritz, Camille Dghoughi vient de prendre le poste de directrice F&B du Lutetia (Paris, 6e  arr.).  

19 janvier | La Bretagne interdit la pêche aux saumons et aux truites pour l’année 2025. Comme le rappelle le magazine Reporterre, « les causes de cette disparition ne sont cependant pas majoritairement liées à la pêche, déjà sévèrement limitée par des quotas les années précédentes. Le dérèglement climatique qui augmente la chaleur de l’eau, la destruction du bocage qui favorise l’érosion et la présence massive de pesticides ont joué un rôle massif dans l’érosion des salmonidés. » 

19 janvier | Dans le cadre du dixième anniversaire de l’hôtel La Réserve (Paris, 8e arr.), son restaurant triplement étoilé, Le Gabriel, va organiser plusieurs diners exclusifs. Cela démarre avec le chef Guillaume Galliot, du restaurant Caprice (Four Seasons Hong Kong, trois étoiles) qui va réaliser un repas à quatre mains avec Jérôme Banctel, chef du Gabriel, les 5 et 6 février. 

18 janvier | Reconnue coupable de « pratiques commerciales trompeuses », la maison Ballardran (Bordeaux), réputée pour ses canelés, a été condamnée à une amende de 100000€. Une enquête de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), parue en 2023, pointant des différences entre l’étiquetage des produits et leur composition suite à des changements de recette. Le parquet, qui avait requis une amende nettement supérieure, a précisé qu’il se réservait le droit de faire appel de la décision. 

18 janvier | Jean Coussau, chef du Relais de la Poste à Magescq (Landes), et plus ancien restaurant doublement étoilé de France (depuis 53 ans), vient d’être nommé « chevalier » dans l’ordre de la Légion d’honneur. La La Landes ! Autres promotions, celles des cheffes Fanny Rey et Adeline Grattard au même grade. 

18 janvier | Selon nos informations, la création d’un second restaurant a été évoqué du côté du Clarence (Paris, 8e arr.), table doublement étoilée tenue par le chef Christophe Pelé. Il pourrait prendre place au deuxième étage, en lieu et place d’anciens bureaux. Christophe Pelé a déjà, par le passé, ouvert une table éphémère dans la cour du bâtiment. 

15 janvier | La Table des Climats (Dijon, 21) accueille un nouveau chef en la personne d’Alexandre Clochet-Rousselet. Le Bourguignon a notamment travaillé au Pressoir d’Argent (Bordeaux), à La Table de Pavie (Saint-Emilion) et Le Relais Bernard Loiseau (Saulieu). Premier service officiel le 16 janvier. 

15 janvier | Les enseignes La Boucherie (4,47/5 ; 5871 avis), pour la restauration traditionnelle, et KFC (4,36/5 ; 255 090 avis), pour la restauration rapide, arrivent en tête dans la catégorie « restauration » du palmarès des enseignes plébiscitées selon l’entreprise Vasano qui a analysé quelque 9,4 millions notes et avis via les fiches Google Business Profile en 2024. 

15 janvier | Le Parlement a adopté mardi 14 janvier la prolongation jusqu’à fin 2026 d’une dérogation qui permet d’utiliser les tickets-restaurant pour acheter des produits alimentaires à préparer, comme le riz, l’huile ou la farine. Cette dérogation – permise à la suite du Covid pour améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs – avait expiré au 31 décembre 2024 du fait de la censure du gouvernement de Michel Barnier.

13 janvier | Le chef Laurent Poitevin vient de décéder d’une longue maladie. Souvent présenté comme un chef discret et humble, il a connu une longue carrière de chef que ce soit au sein du groupe Edern , au Peninsula, à l’Hôtel Vernet ou dans le groupe Taillevent où il fut notamment le second de cuisine du chef Michel Del Burgo à l’époque où la table brillait de ses trois étoiles. Précédemment, il a également oeuvré au Bristol ou au Crillon. Nous adressons toutes nos condoléances à sa famille. 

13 janvier | Patrick Morlière est nommé directeur général de La Maison du Chocolat. Il succède à Guillaume Mazarguil qui dirigeait la marque depuis 2018.

LES INFOS BOUILLANTES

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Portrait décalé du chef Florent Ladeyn à l’occasion de l’ouverture de son nouveau restaurant lillois, Krevette | Photographie de @celiaswaenepoel (publiée sur le compte de Camille Carlier)

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