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Sirha Food en Arabie Saoudite : quand l’argent n’a pas d’odeur

L’entreprise dirigée par Olivier Ginon, et orientée par Luc Dubanchet pour sa partie ‘food’, va organiser en 2024 un premier salon Sirha Food à Riyad, en Arabie Saoudite, et veut faire du Royaume un « pays d’accueil ». Sans sourciller, le Sirha ferme les yeux sur les tortures et ouvre son portefeuille aux gros billets. Ca fait désordre.

Lors de sa dernière édition lyonnaise, en 2023, le Sirha proposait plusieurs axes de programmation, dont un autour du « bien-être humain ». Excellente idée que d’aborder un tel sujet qui touche tout le monde, sans distinction. Un sujet dans l’air du temps, consensuel à souhait. Mieux, en bon acteur responsable, le Sirha Food n’hésite pas à réaffirmer régulièrement ses engagements en matière de RSE, de l’éco-conception de ses stands jusqu’à la collecte de biodéchets ou le don de 15 tonnes de denrées à la Banque alimentaire. On applaudit des deux mains une entreprise exemplaire et engagée. Et puis nous apprenons, au détour d’un communiqué de presse, que « Sirha Food lance Sirha Arabia en partenariat avec la commission des arts culinaires d’Arabie Saoudite ». La première édition se déroulera du 1er au 3 octobre à Riyad, la capitale. Formidable, Sirha Food s’internationalise et, comme l’explique toujours le communiqué, l’entreprise française « souhaite aider l’Arabie Saoudite à devenir un pays d’accueil pour des projets de restauration créatifs et innovants ». 

L’Arabie Saoudite, un pays d’accueil… Le Royaume, une terre d’hospitalité, vraiment ? Il suffit de lire les derniers rapports d’Amnesty International ou d’Human Rights Watch pour comprendre qu’il n’y a pas plus accueillant que la monarchie saoudienne. À la moindre contestation, même insignifiante, c’est la prison garantie, un peu de torture au passage et la peine de mort au bout du couloir. Y compris pour les enfants ! Quelques jours après le Sirha Lyon, qui a hébergé un magnifique pavillon saoudien pour vanter la richesse culinaire du pays, le Royaume condamnait à mort Abdullah al Huwaiti, arrêté à l’âge de 14 ans. Le jeune homme a été placé à l’isolement de longues semaines avant d’« avouer », sans l’intervention du moindre avocat, sa présence lors d’un vol à main armée. Quant à la militante Salma al Shehab, elle a été condamnée à 34 ans d’emprisonnement, suivis de 34 ans d’interdiction de voyager, parce qu’elle a écrit deux ou trois tweets pacifiques. Elle aurait, selon les juges, « troublé l’ordre public et déstabilisé la sécurité de l’État ». Deux exemples parmi des centaines d’autres où il est question de prison sans procès équitable, de tortures, d’arrestations arbitraires et d’exécutions sommaires. « Les autorités s’en sont prises à des personnes qui avaient exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression et d’association. Le Tribunal pénal spécial a jugé et condamné à de longues peines de prison, à l’issue de procès manifestement inéquitables, des personnes qui n’avaient fait que s’exprimer pacifiquement, participer à des associations ou créer des organisations locales. Des défenseur·e·s des droits humains ont été harcelés en détention et ont fait l’objet d’interdictions de voyager après leur remise en liberté conditionnelle » : voilà les premiers mots du rapport 2022 d’Amnesty International qui résume la situation en Arabie saoudite. Et que dire de la position des femmes, des enfants et des populations étrangères qui ne disposent d’aucun droit ou presque. Leur soumission est totale. Le Royaume applique la charia – la loi islamique – comme bon lui semble. Sous le règne du roi Salmane, les exécutions ont quasiment doublé depuis son arrivée au pouvoir, en 2015. Mais, manifestement, cela ne gêne pas les cadres de Sirha Food. 

Voilà donc un très rapide aperçu du pays dans lequel l’entreprise dirigée par Olivier Ginon, et orientée par Luc Dubanchet pour sa partie ‘food’, va s’engager pour « en faire un pays d’accueil ». Le Royaume distribue aussi facilement ses millions d’euros que ses coups de trique. Le Sirha ferme les yeux sur les tortures et ouvre son portefeuille aux gros billets. Le capitalisme a depuis longtemps ses principes, et le premier d’entre eux est bien connu : l’argent n’a pas d’odeur. Pas même celui du sang. Reste à savoir si, à Riyad, le Sirha parlera RSE. 

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À lireLe rapport d’Amnesty International | Le rapport d’humanisations Rights Watch

PratiqueLien vers Sirha Food

Photographie | Getty Image

Enquête

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