Depuis le temps que son nom apparait dans le guide Michelin, avec une étoile rouge accolée (depuis 2009), on a le sentiment que l’Arôme a toujours existé. Une table hors du temps, hors des modes, hors du spectre très mouvant de la to do list culinaire. Et puis, pour finir le tableau, voilà un restaurant sans communication ou presque, sans attachée de presse en tout cas. Face à la nouveauté, face aux invitations urgentes qui tombent comme à Gravelotte, pourquoi donc se piquer d’un Arôme antédiluvien et statique en cet automne parisien ?
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Il n’aura suffi que de quelques minutes pour trouver la réponse : parce qu’il y a Thomas Boullault qui virevolte, qui se balade en salle pour s’enquérir des envies d’un client habitué venu avec son jeune fils, parce qu’il refait le monde avec un autre un petit verre à la main, parce qu’il vient servir une table en expliquant avec une rare conviction le pourquoi de ce plat, parce qu’il vibre au rythme des assiettes qui ne cessent de sortir des cuisines ouvertes sur la belle salle contemporaine. Le restaurant, plein comme un oeuf, déborde de vie. À 15h, là où la plupart des restaurants ont déjà fait le ménage et plié la voilure, un premier lièvre à la royale débarque en salle. On ne s’en plaindra pas puisque, d’une part notre aubergiste a créé le Championnat du monde dudit produit et, d’autre part, parce que l’assiette se pose délicatement sur notre table. Plus que la puissance giboyeuse que l’on accole généralement à cette préparation très saisonnière, c’est avant tout une sublime douceur et une mâche « royale » qui s’imposent ; la truffe finissant cette sensation d’infinie délicatesse. Dans ce défilé de grandes assiettes, on ne peut que s’incliner sur le savoir-faire de la maison, avec un « thon rouge et jambon de la maison Baud millésime 2018, condiment pistache et crème fumée, vinaigrette acidulée » d’une rare gourmandise et d’un équilibre parfait, ou l’iconique « lob dog de homard breton à la rhubarbe, sauce mousseline à l’orange sanguine, olives vertes de Nyons », d’une précision de cuisson et de saveurs diabolique. Le « soufflé chaud aux pistaches de Sicile, sorbet griotte et son coulis » termine le repas de la plus belle des gourmandises.
Laissons donc ce débattre une jeune garde culinaire – pleine de talents – qui traficote des assiettes parfois minimalistes à tout niveau et sachons revenir parfois à ces tables où la générosité se lit à chaque étape du repas, à ces tables habitées de bout en bout. Passé par les cuisines du grand Philippe Legendre et du tout aussi grand Christophe Pelé, Thomas Boullault a su synthétiser le classicisme et le moderne, et magnifier ce que chaque client recherche : la convivialité de l’aubergiste. Un Arôme marquant et entêtant.
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L’Arôme, 3 rue Saint-Philippe-du-Roule, Paris 8e arr. | 0142255598 | Lien vers le site Internet
Photographies | Emmanuelle Levesque