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Tours : désert gastronomique ou nouvel oasis culinaire ? 

Alors que Tours accueillera le 18 mars prochain la cérémonie 2024 du guide Michelin, des questions se posent sur l’absence d’aura gastronomique de la région. Peu de tables étoilées, pas de figure de proue, pas de plat emblématique alors même qu'il s'agit du Jardin de la France, que les produits abondent et que l’histoire culinaire régionale est riche. Pourquoi donc la Touraine n’occupe-t-elle pas une place plus importante sur la scène nationale ? 

Il est bientôt (re)venu le temps du Michelin nouveau. Cette année, le cru sera annoncé depuis Tours, capitale de la Touraine, à une heure en train de Paris. Central, pratique, donc consensuel. Mais après Cognac en 2022 et Strasbourg en 2023, Tours dénote. Aucune table étoilée au sein de la ville, et ne parlons même pas d’un “deux étoiles” sur l’ensemble du territoire avant Blois, 65 bornes tout de même. Pour un “une étoile”, il faut rouler dix kilomètres jusqu’à Fondettes, où se trouve l’Opidom du chef Jérôme Roy. Dans le guide Michelin 2023, version papier, la ville ne compte pas plus de huit adresses citées, sans la moindre distinction. Pas même un Bib Gourmand à se mettre sous la dent. 

Alors, où est le problème ? Si nous remontons à la source de ce qui fait un restaurant, les plats et donc les produits, la région tourangelle en regorge. Safran, truffes, fromages de chèvre, lentilles, poissons de la Loire et même shiitakés peuvent être énumérés dans une sorte d’inventaire à la Prévert. Julien Martineau, chef du restaurant La Deuvalière, qui tente de travailler intégralement avec des producteurs locaux, confirme que “la Touraine est une très belle région culinaire. C’est une région maraîchère, on arrive à trouver quasiment tout ce qu’on veut, on a un magnifique panel d’éleveurs. Certains chefs parisiens ont même des jardins en Indre-et-Loire”. Pas de dissonance du côté de Guillaume Dallay, chef de La Rissole et membre de l’association la “Touraine gourmande”, qui propose une carteavec des produits “essentiellement de la région”. On épargnera au lecteur une nouvelle liste mais on l’a compris, tout est possible, ou presque, en belle Touraine. Histoire d’apporter de l’eau au moulin ligérien, Clément Dumont, chef du restaurant une étoile Arbore & Sens à Loches, tient à parler de ceux qui font ces produits : “Ce sont beaucoup de jeunes personnes, qui ont redynamisé leur métier. Je suis surpris par cette richesse, je découvre parfois des gens qui ont une spécialité très précise à 10 kilomètres de chez nous, à l’image d’une productrice de légumes japonais”. 

Manifestement, un terroir riche ne suffit pas à s’imposer sur la scène gastronomique. Ce serait bien trop facile. Clément Dumont pointe un premier élément de réponse sur la problématique de l’aura : le manque de communication entre producteurs et chefs aurait amené l’imaginaire collectif à rester “bloqué sur les produits “classiques”, comme les fameux rillons” et à ne pas voir la richesse disponible sur le territoire. Reste que l’existence de cette diversité permet de justifier l’appellation “Jardin de la France” dont la Touraine bénéficie depuis la Renaissance et la venue des rois de France. Historiquement, ils sont nombreux à avoir chanté les louanges de la région tourangelle comme lieu de gastronomie. Rabelais bien sûr, et Balzac aussi, tous deux originaires du coin. Plus proche de nous, Curnonsky et son “Trésor gastronomique de France” qualifient la Touraine de “paradis du bon accueil et des digestions calmes”. Au sortir de cette digestion et sans doute après réflexion, on retrouve la Ville de Tours qui a obtenu la dénomination “Cité internationale de la gastronomie” en 2013, et la Villa Rabelais, qui héberge l’Institut européen des cultures et de l’histoire de l’alimentation. Le lieu organise aussi des “manifestations historiques et gastronomiques hors les murs avec l’ambition de mettre en valeur la culture gastronomique du Val-de-Loire et ses produits”. Alors, retour à notre questionnement : que manque-t-il à cette région pour faire rayonner ses matières premières ?

Ce qui manque peut-être à la cuisine tourangelle, c’est un plat emblématique. Interrogez n’importe qui dans la rue en Touraine et demandez-lui donc LE plat qui représente la région. Vous obtiendrez au pire un œil vide et une bouche aussi ronde qu’une bûche de Sainte-Maure-de-Touraine, au mieux l’évocation de la beuchelle. Ô rage, ô désespoir, la beuchelle “à la tourangelle”, mélange d’abats crémés avec des champignons, n’a pourtant de typique que le nom puisqu’elle a été inventée d’après une recette autrichienne, par un cuisinier n’ayant jamais travaillé en Touraine. À propos de cuisinier, pas de chef emblématique, pas de figure de proue, point de chantre du local qui porterait haut les couleurs régionales d’azur semé de fleurs de lys d’or à la bordure componée d’argent et de gueules. Où se cache-t-elle cette gueule que tout le monde attend ? Pour Julien Martineau par exemple, “il faudrait un chef catalyseur pour que la région décolle”. Certains évoquent bien Christophe Hay, chef doublement étoilé de “Fleur de Loire”, mais celui-ci évolue à Blois, bien loin, trop loin pour le plonger dans l’escarcelle tourangelle. Depuis Charles Barrier, seul triple étoilé ayant exercé à Tours, et l’ancien double étoilé Jean Bardet, aucun chef tourangeau ne semble vraiment sortir du lot, même si Clément Dumont note une “belle synergie entre chefs” et une volonté “de valoriser notre terroir ensemble”.

À Tours, l’urbain semble poser souci. Car si les chefs étoilés se trouvent en dehors de la ville, ce n’est vraisemblablement pas un hasard. Certains restaurateurs évoquent un “centre-ville difficilement accessible”, “des places de parking supprimées” ou encore des trop petits locaux pour monter un restaurant étoilé. Pour d’autres, il est question de manque d’envie dû aux origines : “La plupart des restaurateurs ont grandi dans les campagnes donc on n’a pas forcément envie de s’installer dans les grandes villes. Ce qu’on aime et là où on se sent bien, c’est dans le côté rural, les villes plus petites et un peu plus reculées” déclare Clément Dumont. 

Faire sa tambouille chacun dans son coin, en lien direct avec les producteurs et les clients mais pas plus. Voilà qui sonne comme l’illustration parfaite d’une idée que chaque local porte avec lui : le bon Tourangeau est celui qui ne dérange pas, ne se met pas en avant, mène sa vie en faisant profil bas. Et cette faiblesse régionale pourrait avoir joué dans sa réputation culinaire. Ainsi, pour Alice Wanneroy, adjointe à la mairie de Tours en charge de la politique alimentaire et à la Cité internationale de la gastronomie, “Tours et la région tourangelle pèchent et ont souvent péché par une forme de discrétion, une manière de dire “on n’a pas vraiment de choses à mettre en avant ou de plat emblématique” alors qu’on a des produits extraordinaires. Il est important que les chefs s’approprient cela et puissent en faire quelque chose. On n’est jamais meilleur que lorsqu’on affirme notre propre identité”. 

Tours et sa Cité internationale de la gastronomie

L’appellation “Cité internationale de la gastronomie” découle du “repas gastronomique des Français” inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2010. Dans le cadre de cette inscription, la France s’était engagée à développer une “Cité de la gastronomie” qui s’est convertie en quatre “Cités de la gastronomie” à travers la France, dont Tours. “Ce n’est pas un label au sens où il n’y a pas de cahier des charges commun, chaque Cité a déployé une programmation selon son prisme”, affirme Alice Wanneroy, adjointe à la mairie de Tours en charge de la politique alimentaire et à la Cité internationale de la gastronomie.

Plutôt que la discrétion, certains chefs évoquent des ambitions professionnelles qui ont changé. Pour Guillaume Dallay, “il existe peut-être une nouvelle tendance aujourd’hui où tout le monde ne court pas après les étoiles, comme c’est mon cas. Je suis référencé dans le Michelin et j’y tiens particulièrement, mais je n’ai pas envie de me prendre la tête avec l’étoile”.

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La cérémonie du Michelin, 500 000 euros de budget et des attentes

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Et à ceux qui persistent à qualifier la région de “désert gastronomique”, il est reproché une vision trop réductrice et une “dimension élitiste” de la gastronomie. Pour Kilien Stengel, chargé de mission à l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation de la gastronomie, la Touraine est “évidemment” une région gastronomique à condition de ne “pas avoir une lecture du mot portée sur une étoile Michelin ou un parisianisme”. Alice Wanneroy rejoint cette vision en apportant sa propre définition :  La gastronomie, c’est le moment de partage, de convivialité autour du temps de repas, ce n’est pas uniquement avoir des produits d’excellence avec des chefs d’excellence”.

Malgré ces discours anti-conformistes, la venue du Michelin est tout de même guettée par les acteurs du secteur. L’investissement réalisé par les instances publiques pour l’événement n’est pas des moindres. À peu près 500 000 euros ont ainsi été dépensés par la Ville de Tours, Tours Métropole et la Région Centre-Val-de-Loire pour la cérémonie, dont “entre 150 000 et 200 000 euros” pour la seule ville de Tours. 

Les attentes de retombées semblent peser aussi lourd que cette somme rondelette. Julien Martineau espère que la venue du guide va peut-être motiver les inspecteurs à “pousser leur examen” de la région, et “déclencher quelque chose au niveau des étoiles”. Clément Dumont fait, lui, le pari que la cérémonie “va mettre en lumière la région, des chefs, des producteurs” et “peut-être donner envie à des personnes de venir s’installer par ici”. Une opinion partagée par Alice Wanneroy, qui y voit “un enjeu de rayonnement”.

À quelques jours d’accueillir le gratin du monde culinaire, l’ambition politique avouée n’est pourtant pas l’installation à tout crin d’un restaurateur étoilé, de la bouche d’Alice Wanneroy elle-même : « Mon prisme n’est pas de dire ‘j’aurai réussi mon mandat si on a une étoile à Tours’. On est dans un moment de très grande précarité alimentaire, donc l’enjeu est plutôt sur le fait de dire que tout le monde mange des produits de qualité au quotidien”. Manger tout court plutôt que manger étoilé, donc. Dans une période où se côtoient ambitions d’indépendance des restaurateurs, défiance vis-à-vis des guides comme de l’urbain à tout prix, le paradigme pourrait ainsi radicalement changer : d’une ville aux allures de désert gastronomique, la cité rabelaisienne pourrait se lire comme un nouvel oasis culinaire, éloigné comme il se doit des contingences imposées et centralisatrices, et répondant aux envies d’aujourd’hui, celles d’une modestie renouvelée. 

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