Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Guillaume Gomez fête le fromage français au Japon avec Savencia, groupe accusable et accusé

Guillaume Gomez, notre si cher ambassadeur de la gastronomie française, vient de se rendre au Japon pour fêter les fromages français. Dans un message posté sur les réseaux sociaux, il remercie non pas les petits artisans qui maillent le territoire mais le groupe Savencia, un groupe industriel qui réalise sept milliards de bénéfices en vendant des horreurs nommées tartare, coeur de lion et caprice des dieux, qui est accusé de tordre le prix du lait, de lutter contre l’étiquetage nutritionnel et de maintenir son activité en Russie.

La politique et la diplomatie obligent souvent à avaler des couleuvres. Ce qui confine parfois à prendre des postures et faire des choix qui se rapprochent plus de la pratique d’un art sodomite où il faut garder le sourire en toute circonstance que du bon sens paysan. Guillaume Gomez, VRP de la gastronomie française – qui réfléchit à faire évoluer ses missions comme nous le révélions il y a peu – en connait un rayon sur la pratique politique où il faut ménager la chèvre et le chou. Un coup, notre homme défend l’artisan, un autre il s’affiche avec un industriel de choc. La France, à l’assiette chancelante, se rêve artisanale tout en chantant les louanges des grossistes qui rêvent de bouffer les petits faiseurs. C’est bien connu, les couleuvres rendent schizophrènes. 

Lors d’un tout récent voyage au Japon, Guillaume Gomez s’en est allé décorer quelques huiles locales à l’occasion d’une sauterie autour du fromage français. Sur les réseaux sociaux, on peut admirer notre émissaire présidentiel, micro devant, projection derrière, tenue folklorique d’un côté, costume-cravaté-médaille de l’autre. C’est surtout derrière que le regard doit s’arrêter, sur cette projection d’un nom qui s’affiche en grand et qui doit être le partenaire de cette petite fête : Savencia Fromage et Dairy. Une entreprise locale ? Un acteur de l’artisanat français ? Pas vraiment, pas du tout même. Cette entreprise, créée en 1956, n’est autre que le deuxième groupe fromager français, derrière un certain Lactalis, réalisant en 2023 un chiffre d’affaires avoisinant les sept milliards d’euros. Dans son portefeuille de produits et en tête de gondoles de nos supermarchés préférés, on retrouve des marques comme tartare, saint-moret, caprice des dieux, chavroux et des dizaines d’autres marques du même acabit. La crème de la crème du fromage pasteurisé, sans goût, mort. 

_

Au pays des fromages qui puent,
les fromages comme l’argent venus de Savencia n’ont pas d’odeur

_

Mais s’il n’y avait que ça, nous n’en ferions pas tout un fromage de cette sauterie à l’autre bout du monde. Sauf que le groupe Savencia, par-delà vendre ses ersatz de fromages, ne semble pas blanc-blanc sur des affaires plus sensibles. En janvier 2016, un livre dénonce « les cartels du lait » qui sont accusés de tirer le prix du lait vers le bas. Savencia se trouve bien évidemment au coeur du système. En 2024, rien ne semble avoir changé : fin octobre, 700 producteurs de lait se battent toujours pour obtenir un prix de vente correct. Certains dénoncent « des méthodes d’un autre temps » en parlant des méthodes de la multinationale. Laquelle a créé, il y a quelques années, un organisme de lobbying, « Institute for a positive food », histoire de redorer son blason et, surtout, mener la bataille contre l’affichage des propriétés nutritionnelles de certains produits, dont les siens. Cela n’a pas empêché le tribunal de Coutances de condamner Savencia à indemniser de nombreux producteurs laitiers pour compenser un important manque à gagner. Mais là encore, ce n’est pas tout. En 2015, l’Office fédéral allemand de lutte contre les cartels accuse l’entreprise d’avoir fourni volontairement des « informations erronées » pour racheter une laiterie allemande. Enfin, que dire du maintien des activités du groupe Savencia en Russie en dépit de la guerre en Ukraine ? Beaucoup de choses, sans aucun doute. 

Des choses à dire et à redire donc, mais cela ne semble gêner personne, ni l’Ambassade de France au Japon qui organisait l’événement, ni le représentant personnel du président de la République Guillaume Gomez. Au pays des fromages qui puent, les fromages comme l’argent venus de Savencia n’ont pas d’odeur. Certains verront là dedans du pragmatisme, une douce schizophrénie diplomatique sans conséquence. D’autres y verront une incroyable incohérence et une lourde inconséquence qui met à mal, à bas mots, le soft power culinaire français qui devrait valoriser l’artisanat et non des industriels accusables et accusés. 

___

Photographie | DR

LES TROIS DERNIERS ARTICLES BOUILLANTES 

LES INFOS CHAUDES BOUILLANTES 

LES DERNIERS ARTICLES

OPINION