En cette rentrée gourmande, marquée par quelques ouvertures et beaucoup de fermetures en cours ou à venir, le monde de la restauration se questionne énormément. Sur l’offre, sur le bon positionnement tarifaire, sur ce que désire ce client toujours aussi versatile. À Paris, après un été catastrophique pour de nombreux restaurateurs, la question semble encore plus prégnante. Selon certains professionnels, le nombre de restaurants dans la capitale serait trop important, notamment sur le créneau des tables étoilées et, par-delà la crise actuelle, un dégraissage naturel apparait comme inéluctable. Le darwinisme culinaire est en marche.
Dans un tel contexte, on s’étonne de l’arrivée de nouvelles tables claironnées par des communiqués de presse enjoués et prometteurs. Certes, il y est souvent question de concepts de restauration rapide (ce qui ne veut pas dire « mal fait »), de bistrots, de bouillons, ou de brasseries contemporaines, plus rarement de bistronomie – le mot semble en voie d’épuisement -, et encore plus rarement de gastronomie ambitieuse. Là, plus que le mot, c’est l’offre elle-même qui semble en grave déficit dans le bal des ouvertures. Manger bien, rapidement, pour pas trop cher, le tout empaqueté dans un pacte de convivialité et de sincérité, voilà le new deal.
Alors quand un couple de trentenaires, passé par de très belles maisons, s’en va ouvrir sa propre affaire à Paris, dans le très dynamique onzième arrondissement parisien, on se penche immédiatement sur son positionnement et les petits mots utilisés pour le définir : il est alors question de « néo-gastronomie décontractée et accessible » qui entend « réenchanter l’expérience du restaurant ». Il n’en fallait pas plus pour se convaincre de partir à la découverte d’Erso, « qui signifie ‘vague’ en provençal » explique Marine Bert à un client à la table à côté de la nôtre. En cuisine, Yann Placet s’active pour produire sa « néo-gastronomie », une catégorie aux frontières incertaines qui doit se trouver entre la bistronomie et la gastronomie.
Reste le juge de paix, l’assiette. À la carte – pas de menu ici -, trois entrées, trois plats, une assiette de fromages et deux desserts. Pas de mise en bouche, on rentre directement dans le vif du sujet avec une très gourmande « sucrine croustillante, riz soufflé, condiment livèche, moutarde violette, pickles de navets, myrtille, ajo blanco » (13€), suivie d’un solide « pithiviers, betterave fumée, palet de céleri-rave confit aux algues, fondue de poireaux aux noisettes, condiment tomates séchées-cacao, sauce betterave-citron » (25€), avant de terminer par d’impeccables « figues rôties, crème praliné, pécan, crumble au thym, glace tonka » (10€). Incontestablement, le chef, qui a fréquenté quelques pointures du milieu (Pic, Savoy, Benallal) avant de prendre sa première place de chef au Pantruche (Paris, 9e arr.), sait cuisiner. Sa « néo-gastronomie » s’est départie de tous les codes ampoulés dont on ne veut plus pour se concentrer sur les goûts, la générosité des portions (une moitié de pithiviers aurait presque était suffisante) et cette envie de bien faire qui fait que chaque table se sent chouchoutée comme il faut. Service rapide mais attentif, carte des vins intelligemment constituée à petits prix, quelques couverts au comptoir qui donnent sur la cuisine ouverte.
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Au final, on ressort d’Erso avec cet agréable sentiment d’avoir été cajolé par le service et câliné par une cuisine qui rassure et réchauffe. Ce soir-là, la salle était pleine d’une clientèle bigarrée, heureuse d’être là, déjà prête à recommander une petite douceur supplémentaire en ces temps incertains. Le câlin, voilà la recette du succès.
18 rue Saint-Ambroise, Paris (11e arr.) | 01 81 69 96 55 | Fermé dimanche et lundi |
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Photographie | Erso, FPR